La vieille fée Il était une fois une fée que l’on n’invitait plus. On disait qu’elle était trop vieille, trop rude, qu’elle sentait la terre froide et la pluie ancienne. On l’avait vue jadis dans les naissances royales, dans les champs de bataille, dans les berceaux des enfants maudits. Puis les rois avaient vieilli, les coutumes s’étaient adoucies, les palais s’étaient remplis de miroirs, et la fée, elle, était restée la même. Un peu tordue. Un peu lente. Un peu de travers. Quand la nouvelle princesse naquit, elle sentit les cloches avant de les entendre. Une naissance royale, donc une fête. Et, probablement, un oubli. Elle attendit. Rien ne vint. Aucun messager. Aucun pigeon. Même pas une allusion dans les feuilles mortes. Alors elle marcha. Trois jours dans les collines. Elle traversa des ronces épaisses, bu des flaques noires, gratté aux portes du monde. Et elle arriva. Personne ne la reconnut. Les jeunes fées, en robes fraîches et poudrées, la regardaient comme un tableau oublié dans un grenier. Elle resta debout. Elle regarda l’enfant. Elle ne haïssait pas la petite. Elle n’était ni jalouse ni mauvaise. Elle était fatiguée d’être oubliée. Fatiguée que les hommes pensent que le silence annule la mémoire. Quand vint son tour, elle parla. Sa voix n’était pas cruelle. Elle était droite. Elle annonça le fil, le sang, le sommeil. Ce n’était pas une punition. C’était un fil qu’on tend dans la trame pour que les autres comprennent où ils ont coupé. Les fées jeunes pâlirent. Le roi s’étrangla. La reine s’évanouit. Et une autre fée adoucit le sort, comme on tente de recoller un vase brisé. Mais elle, la vieille fée, n’attendit pas la suite. Elle repartit, lentement, dans les bois. Elle savait déjà qu’un jour viendrait un prince, un baiser, un réveil. Que les livres diraient que tout s’était bien fini. Mais elle, elle n’y croyait pas. Car on ne se réveille jamais sans se souvenir de ce qui vous a endormi. Dans le silence des collines, elle reprit sa place entre les pierres et les racines. Elle murmura aux fourmis. Elle suivit les fils d’araignée. Et elle se dit que parfois, il faut que quelque chose se brise pour qu’on se rappelle de qui l’on a voulu effacer.